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14 mai 2013 2 14 /05 /mai /2013 12:31

"A l’origine de mon nom, des destins juifs", par Richard Brodesky, unitarien-universaliste de Tucson, en Arizona.


En gros, j’ignore l’histoire de ma famille d’origine.  Je savais néanmoins que mon arrière-grand-père avait quitté Paris pour New York au milieu du XIXe siècle, avec, en plus, des informations vagues qui nous suggèraient que mes aïeux sont venus en France de l’Europe de l’Est après la Révolution. J’acceptais cette ignorance parce que beaucoup de familles américaines n’ont pas d’histoire à cause du manque de communications faciles entre l’Europe et l’Amérique du Nord au XIXe siècle.  L’immigration a produit pour ces gens une rupture totale avec leur passé.  Mais en 1994, à l’occasion d’un séjour à Washington, ma femme a visité le Musée national de la Shoah.  A l’entrée, elle a reçu, comme pour tout visiteur, une carte d’identité pour suivre le destin d’un particulier pendant les années 1933 à 1945 : ce fut la pièce d’identité de Boleslav Brodecki.

 
51 ans après la libération d’Auschwitz, Boleslav et Zosia Brodecki ont offert un grand diner dans un hôtel très chic à Richmond, dans l’Etat de Virginia, pour fêter leurs 50 ans de mariage.  Avant le diner, il y a eu une réunion des parents qui venaient de très loin et qui ne connaissaient personne. J’y ai fait la connaissance d’une personne qui s’appelait à la fois Rita Grabina et Christine Cohen, ce qui m’intrigua. En anglais cela se fait pour des vedettes mais non pas pour des personnes « ordinaires » ; en plus la juxtaposition de « Christine » qui réfère au Christ et de «Cohen » semble contradictoire.

 
Née à Varsovie en 1940, Rita a été la fille de Severin et de Lola Grabina.  Après l’établissement du ghetto, cette petite famille habitait dans la chambre de bonne de leur ancien appartement.  J’ignore les activités de Lola en ce moment, mais les Allemands exigeaient que Severin et les autres juifs travaillent durement chaque jour.  A un certain moment, les Grabin se sont rendus compte que Severin allait mourir à cause des cruautés de son travail forcé.  Alors, il fallut qu’ils trouvent des moyens pour que Lola et la toute petite Rita continuent de vivre même après sa mort.


rita grabinaRita Grabina, 27 avril 1940 - 14 septembre 2012.

 

Lola avait la chance d'être blonde, ce qui est plutôt rare dans les familles juives.  Elle a fouillé un peu partout et elle a trouvé un collier avec une croix, deux châles de paysanne et une ancienne convocation à comparaitre datée de 1938.  Elle les garda secrètement. A la mort de Severin, elle alla chez un ami médecin et lui demanda des tranquilisants pour sa fille, Rita, qui avait alors 2 ans. Elle emballa son enfant dans l'un des châles polonais comme si cela avait été un jambon.  Elle mit l’autre châle sur sa tête à la manière d’une fermière et de façon à couvrir son étoile jaune. Elle portait la croix qu’elle avait trouvée ; et, dans sa main, elle tenait sa convocation avec la date au-dessous de son pouce.  A la porte du ghetto, elle s’est approchée des gardes et elle leur a dit qu’elle avait reçu ce document pour se présenter devant le tribunal de l’autre côté de la place, arguant qu'elle s’était perdue.  Pour toute réponse, l’un d’entre eux l’a poussée avec la crosse de son fusil en direction de la sortie. Elle a quitté le ghetto et a traversé la place. Entrée dans le palais de Justice, elle s’est réfugiée dans les toilettes pour y déchirer son étoile, puis elle est sortie par une porte de derrière.

 

Après une période d’instabilité, Lola et sa fille Rita se sont établies dans un village à environ 30 kilomètres de Varsovie. Lola, pour survivre, a pratiqué la contrebande.  Les villageois étaient très soupçonneux.  Bien que Lola ait été blonde, Rita avait des cheveux et une peau assez foncée et elle correspondait à l’image stéréotypée d’une Juive. Elle a pris le nom de Lola Zelenska et sa fille est devenue Krystina Zelenska.  Zelenska veut dire « vert » et on dit qu’il est l’un des noms de famille les plus ordinaires en Pologne.  En général, les gens croyaient que Lola était une « goy » (une non Juive) et qu’elle gardait un enfant juif.  Un prêtre catholique les a protégées, mais l’officier allemand qui était responsable pour le village fut souvent sur le point de les dénoncer ; toutefois, grâce aux efforts du prêtre et des gens bienveillants il n’en a rien fait. Aux Etats-Unis, Rita a décida de laisser tomber son propre prénom et de reprendre celui de Christine pour honorer l’expérience. Elle s’est mariée avec un homme qui s’appelle Cohen.


Il y a quelques jours, j’ai appris que Christine était morte et je vous raconte cette histoire pour honorer sa vie.  Mais je vous offre ce récit pour des raisons plus profondes. Ces histoires familiales sont en effet source d’enseignement dans la mesure où elles nous font part de l’expérience d’autrui, ce qui s’ajoute aux nôtres. Elles rejoignent la grande épopée des individus engagés dans la vie, qui se doivent faire attention à leur famille, aux enfants, aux amis, au boulot et surtout aux contraintes de la vie moderne.  Ces personnes traversent des situations complexes et difficiles et y découvrent leur propre vérité, leur propre sagesse. Chacun s’y révèle avec ses faiblesses mais aussi avec son courage … peut-être comme relai de la grâce donnée par la Vie, avec respect et amour.

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